Réforme du Code pénal : la dernière grâce royale va-t-elle faire office de jurisprudence définitivement actée ?

La réforme du Code pénal, prévue pour décembre prochain, est l’une des réformes les plus attendues tant sur le plan juridique que sociétal, notamment sur les questions de l’avortement et de la suppression de la criminalisation des relations hors mariage, entre adultes consentants. Dans ce sens, la grâce royale exceptionnelle récemment accordée à Hajar Raissouni et ses coaccusés sonne parfaitement comme une orientation pour les politiciens marocains. Comment cet acte royal peut-il se manifester en texte de loi et faire office de jurisprudence définitivement actée ?

Dans son application juridique, la grâce royale absout seulement de la peine, mais pas du délit. Pourtant, cette grâce est un fait exceptionnel puisqu’elle fait suite à des tensions entre société et législateur. Mehdi Alioua, docteur en sociologie, et enseignant-chercheur à l’Université Internationale de Rabat estime que le fait que le Roi ait dû « descendre » dans l’arène juridique pour octroyer sa grâce à Hajar Raissouni et ses coaccusés « pointe une gestion assez calamiteuse de ce dossier par la justice, ce qui a poussé la société civile à se mobiliser et à lancer des pétitions, ainsi qu’à intervenir dans la presse nationale ou internationale soit-elle ».

Dans ce sens, M. Alioua énumère plusieurs affaires semblables, notamment l’affaire de “baiser de Nador” ou le procès de deux femmes marocaines arrêtées pour attentat à la pudeur, accusées d’avoir porté des jupes trop courtes, ajoutant que le fait qu’elles aient été jugées s’inscrit dans une logique :  » les Marocains votent pour un parti avec un référentiel religieux comme le PJD. On retrouve cette partie de la société marocaine, au niveau de l’Etat puisque l’Etat est un prolongement de la société qui a des référentiels de l’ordre public en contradiction avec le21ème siècle. Ceci met toujours en porte-à-faux une partie de la société marocaine, à savoir la jeunesse, contre l’Etat parce que le mode de vie a changé ».

Dans ce sens, les interprétations de la grâce royale varient, mais beaucoup s’accordent pour dire qu’elle constitue une orientation pour les politiciens. Mustapha Sehimi, avocat au Barreau de Casablanca affirme qu’ « une grâce royale est, dans la Constitution, une prérogative personnelle et exclusive du roi qui a des effets juridiques. Elle peut intervenir à tout moment au profit d’une personne, et le fait qu’elle soit surtout donnée lors des fêtes nationales ou religieuses est une tradition, et non pas une règle ». Le plus intéressant est en fait, pour M. Sehimi, de contextualiser cette grâce alors qu’une révision du Code pénal se trame. « L’on peut espérer que les deux chefs d’inculpation attribués à Hajar Raissouni et ses coaccusés, qui sont les relations sexuelles hors mariage et pratique d’avortement illégal, soient réexaminés au niveaux des commissions parlementaires compétentes ». Selon l’interprétation de Mehdi Alioua « la grâce royale intervient parce que, quelque part, il y a un défaut de justice et pour ne pas laisser les gens croupir en prison dans une situation terrible. C’est à la justice de faire son travail en intelligence avec ce que le Roi a orienté mais c’est aussi à la société civile et aux députés de changer ces lois« .

« Pour l’instant, il y a un projet de loi relatif à la révision du Code pénal, qui est déposé au sein de la Commission de la Justice et de la législation de la Chambre des Représentants, et ce, depuis plus de 3 ans et 4 mois, explique M. Sehimi, Cela rappelle « le projet de loi relatif à l’avortement qui fait suite à la Commission qu’avait demandée le Roi en avril 2015, laquelle lui avait soumis des propositions sur la base desquelles le gouvernement avait légalisé l’avortement pour 4 cas, notamment, le viol, l’inceste, troubles mentaux chez la mère ou malformation congénitale ». Une révision à minima, qui n’enlève rien au fait que certaines dispositions du Code pénal marocain, notamment celles prévues dans le chapitre VIII intitulé « crimes et délits contre l’ordre des familles et la moralité publique », de l’article 493 à 458, et qui régissent la sexualité et l’avortement, datent encore de 1962. Le problème relevé avec ce chapitre, c’est que le contexte politique de la promulgation de certaines de ces dispositions était marqué par la prééminence de l’approche sécuritaire, en conférant la priorité à « l’ordre et la morale », au détriment de l’individu.

M. Sehimi estime que « maintenant que le Roi a pris une mesure particulière et significative à propos de l’avortement et des relations sexuelles hors mariage, nous en sommes à espérer que cette lecture royale soit prise en compte au niveau parlementaire ». De là à ce qu’elle fasse l’objet d’une jurisprudence directement, il n’y a aucun acheminement dans le système juridique qui favorise cela. Mehdi Alioua continue sur cette explication estimant qu’ « au Maroc, nous avons des institutions indépendantes, ou qui ont, en tout cas, une forme relative à l’indépendance, il est logique maintenant que la justice donne son mot d’ordre pour savoir si Hajar Raissouni, son fiancé Rifaât Al Amine ainsi que son gynécologue Mohammed Belkziz auront un acquittement, un non-lieu, ou pas ».

« Il y a 10 ans, le Roi n’aurait peut-être pas entrepris un pas pareil, affirme M. Sehimi, c’est presque comme s’il avait donné sa propre lecture à la révision du Code pénal pour ce qui est de l’avortement et des relations sexuelle hors mariage, et cela doit être considéré comme une orientation par le gouvernement, tout en espérant que cela ne traîne pas » explique l’avocat. Le Maroc est cependant doté de plusieurs mécanismes favorables à cette perspective, la nouvelle Constitution préconise le respect des droits de l’Homme, de l’égalité hommes-femmes et de la vie privée des individus, dans ce sens, M. Alioua avance que « les directives royales ont été données dans cette Constitution et dans plusieurs messages royaux qui privilégient une approche basée sur les droits et les libertés. Aujourd’hui c’est à la société, aux parlementaires et aux députés de relancer ce débat pour voir la meilleure manière d’adapter ces libertés au mode de vie des Marocains ».

Il y a une forte demande pour que les choses changent, et « pour que nous n’ayons pas dans 3 ou 4 mois, une nouvelle affaire Raissouni » confirme M. Sehimi, « l’initiative peut émaner du gouvernement, avec un projet de loi, ou des parlementaires, avec une proposition de loi qu’ils peuvent faire voter et imposer au gouvernement », continue l’avocat.

Après tout, cette affaire est un débat de société autant qu’elle est un débat législatif, mais c’est aussi un modèle de développement humain, pour M. Alioua, « il faut changer cette mentalité archaïque et opter pour la libération des énergies tout en criminalisant les comportements déviants comme le harcèlement sexuel et le viol pour libérer les femmes et pour que le prochain modèle de développement fonctionne », tout en précisant « qu’on ne parle pas ici des affaires qui font atteinte à la pudeur. On parle d’adultes consentants chez eux et qui ne font de mal à personne ».

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