Les dessous du tourisme «révolutionnaire» dans le Sahara marocain

Le pèlerinage au Sahara marocain, rituellement entrepris par des figures de la gauche européenne, en particulier espagnole, s’est mué en une pratique régulière. La dernière occurrence de cette farce a vu une délégation de députés du Parlement européen, sous la houlette d’une élue du parti Podemos, tenter d’accéder à la ville de Laâyoune, prétendument animée par un souci de «solidarité avec le peuple sahraoui» et par la volonté d’examiner la situation des droits de l’homme. Comme il se devait, les autorités marocaines les ont éconduits : ce qu’ils recherchaient n’était pas l’observation scrupuleuse de réalités qu’ils feignent d’ignorer mais l’effet tapageur d’une mise en scène soigneusement préméditée, propre à alimenter une campagne médiatique où l’ostentation du refus prendrait des allures de martyr politique.

Il est manifeste que de telles entreprises ne visent qu’à provoquer. Ceux qui s’y livrent savent pertinemment que les autorités marocaines ne leur permettront pas d’entrer, non par crainte de quelque révélation compromettante mais pour la simple et légitime raison que le Sahara n’est pas un territoire vague et indéfini où tout intrus s’arrogerait des droits d’observateur : il constitue une partie intégrante du Royaume, sur laquelle l’État exerce sans partage sa souveraineté. Toute visite d’une délégation politique ou journalistique est, dès lors, assujettie aux formalités juridiques et administratives requises et ne saurait s’effectuer sans l’agrément préalable des autorités marocaines.

De telles gesticulations ne sont point inédites et ne cesseront tant que perdurera ce différend artificiel. C’est ainsi que le Maroc verra se succéder ces «touristes révolutionnaires», débarquant ostensiblement dans les aéroports de Laâyoune ou de Dakhla tandis que d’autres, plus retors, chercheront à s’introduire clandestinement en dissimulant l’objet réel de leur déplacement. Or, leur supercherie est invariablement éventée et leur expulsion suit, comme un rite inéluctable. Cependant, au-delà de cette mascarade grotesque, il convient d’interroger les ressorts profonds de ces campagnes orchestrées contre le Maroc.

Une gauche d’un autre temps

Les adeptes de ce «tourisme révolutionnaire» se recrutent essentiellement au sein de la gauche européenne et plus précisément de l’extrême gauche espagnole, dont l’engagement en faveur de la cause du Sahara n’a rien d’une posture philanthropique, mais s’inscrit dans la continuité d’un dessein colonial ancien. Ce projet n’est autre que la conséquence du démembrement du Maroc, entériné par la Conférence d’Algésiras en 1906 et contre lequel le Royaume poursuit inlassablement son combat, sous la bannière de l’achèvement de son intégrité territoriale. Ces milieux gauchistes qui s’emploient à mener ces manœuvres ne sont, en vérité, que les héritiers directs d’une tradition impérialiste que l’écrivain espagnol Juan Goytisolo avait déjà évoquée dans son ouvrage Le Problème du Sahara (1979). Il y déplorait l’incapacité chronique de la gauche espagnole à appréhender les revendications du mouvement national marocain. Il relevait, en outre, que l’ensemble du spectre politique espagnol, de l’extrême droite réactionnaire aux marxistes les plus doctrinaires, demeure imprégné d’un prisme colonialiste où le Maroc est perçu comme une menace expansionniste, susceptible de mettre en péril l’économie et l’intégrité territoriale de l’Espagne.

Dans son analyse, l’auteur observe que l’attitude de la gauche espagnole à l’égard de la colonisation du Maroc ne s’est nullement distinguée de celle des gouvernements qui se sont succédé, avant comme après l’avènement de la dictature franquiste. C’est donc sans surprise qu’elle a adopté la même posture en ce qui concerne le Sahara. M. Goytisolo s’interroge avec acuité : où étaient donc ces associations de «soutien au peuple sahraoui», ces organisations prétendument humanitaires et ces collectifs de gauche, lorsque le régime franquiste écrasait dans le sang les manifestations sahraouies ? Leur indignation était alors inexistante. Il rappelle, notamment, le sort tragique de Mohamed Bassiri, militant qui organisa en 1970 une manifestation à Laâyoune pour réclamer la libération et l’unification du Maroc : arrêté par les autorités coloniales espagnoles, il fut liquidé sans autre forme de procès, et son corps demeure à ce jour introuvable.

«Dès lors, le gouvernement espagnol abandonna son entreprise d’hispanisation du Sahara pour s’abriter derrière le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, opposant à la revendication marocaine l’argument fallacieux d’une prétendue politique expansionniste», poursuit l’écrivain. Le véritable objectif de Madrid consistait alors à instaurer un micro-État sous sa tutelle, dénué d’armée, de ressources économiques, d’expertise technique et d’expérience administrative, qui eût été incapable d’assurer sa propre souveraineté sans la férule espagnole.

Détournement du «droit à l’autodétermination»

Il convient de rappeler que la puissance coloniale espagnole fut l’une des premières à instrumentaliser le slogan du «droit à l’autodétermination» afin d’imposer son emprise sur la région. C’est dans cette perspective qu’elle procéda au recensement de la population en 1974, opération immédiatement dénoncée et rejetée par le Maroc. Cette ingérence trouva alors un soutien parmi certaines factions de la gauche européenne, qui se firent les complices d’une tentative de sécession du Sahara, entraînant dans leur égarement une minorité d’extrémistes marocains, aveuglés par une vision doctrinaire déconnectée de la réalité nationale.

L’écrivain et journaliste feu Mohamed Bahi exprima avec une lucidité implacable son refus de cette trahison intellectuelle dans un article demeuré célèbre, intitulé Ne faites pas de Lénine un fonctionnaire de Franco. Il y dénonçait le paradoxe d’une certaine gauche prompte à brandir les idéaux anticolonialistes lorsqu’ils servaient son agenda, mais prompte également à s’aligner sur les intérêts d’une puissance coloniale dès lors qu’il s’agissait du Maroc.

Un autre intellectuel espagnol, le communiste Miguel Martín, analysa cette hypocrisie dans son ouvrage Le Colonialisme espagnol au Maroc (1973), où il démontre la pusillanimité des forces progressistes espagnoles face à la question coloniale. Il y prédisait que le régime franquiste ne pourrait se permettre une guerre contre le Maroc au sujet du Sahara et finirait par céder. En conclusion, il appelait les véritables progressistes espagnols à reconnaître la légitimité des revendications marocaines et à nouer des alliances avec les forces nationalistes et progressistes du Royaume.

Hélas, de telles voix demeurent rares en Espagne où l’aveuglement persiste, porté par ces «touristes révolutionnaires», dignes héritiers d’un franquisme à peine travesti.

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