Le coronavirus ou la pandémie qui fait trembler les réformes structurelles prises par les gouvernements islamistes

Le Comité de veille économique (CVE), mis en place pour atténuer les effets de la crise du Coronavirus sur les plans économique et social, a entériné une série de décisions au profit des entreprises, des salariés du privé et des salariés de l’informel. Et ce, afin de faire face aux conséquences lourdes sur les plans économique et social en raison du ralentissement, voire de l’arrêt de plusieurs secteurs d’activité économique. 

Les pays qui ont précédemment opté pour des mesures sociales et économiques efficientes, en dehors d’un contexte d’urgence, ont été mieux préparés pour faire face aux répercussions du covid-19. Cependant, les anciennes réformes structurelles prises par le Maroc se sont révélées mal avisées. D’où l’importance du plan d’urgence ordonné par le Souverain.

Le CVE a traité en priorité les mesures destinées aux salariés en arrêt de travail. Il s’est ensuite penché sur les premières mesures à l’adresse des TPME en difficulté. Des mesures fiscales transitoires ont été adoptées. Il s’est également penché sur les couches les plus vulnérables de la société marocaine, en l’occurrence les ménages opérant dans le secteur informel.

Najib Akesbi, économiste et professeur universitaire, que nous avons interrogé à ce propos, soutient que dans ce contexte épidémique, les efforts de l’Etat doivent être orientés à trois niveaux. Il s’agit de l’aspect médical, à savoir la santé publique, l’accompagnement des entreprises et l’aide aux ménages. Il note que les premières mesures prises par le CVE, afin de soutenir les secteurs impactés par le coronavirus, ont concerné les entreprises ainsi que les salariés exerçant dans le secteur formel. Dans ce contexte, il rappelle le clash CGEM-GPBM en pleine crise. En effet, le courrier de la CGEM adressé au GPBM n’a pas été apprécié au sein du secteur bancaire. La réponse sanglante et condescendante du groupement professionnel des banques, est là pour en témoigner.

Pour l’économiste, ce vif échange d’arguments polémiques entre ces deux grands lobbys, qui sont deux instances majeures de la sphère économique et financière marocaine, démontre à quel point les nerfs sont mis à rude épreuve par l’une des plus graves crises que le Maroc ait jamais traversées. Ce sont les très petites entreprises (TPE), grandes victimes de ce combat de titans, qui risquent d’être le dindon de la farce. D’après lui, cette passe d’armes n’est pas de bon augure. « J’ai peur qu’on se perde à nouveau dans de faux problèmes. Mais, je pense que la CGEM continuera de faire le nécessaire », a-t-il indiqué.

Quant au volet médical, l’économiste pense qu’il y a une prise de conscience suffisante de la gravité de la situation. Mais ceci n’occulte pas le fait que le secteur de la santé a été négligé pendant des années sous le poids de l’orthodoxie néolibérale. Doter le ministère de la Santé des moyens financiers nécessaires et de procédures budgétaires va lui permettre d’accéder à tous les moyens techniques idoines et se préparer à toute éventualité. Soulignons que dans le cadre du Fonds de gestion de la pandémie du covid-19, le ministère de l’Economie et des Finances a annoncé hier la mise à disposition de 2 MMDH pour la qualification du système de santé national.

Cette enveloppe servira à l’acquisition de lots d’équipements médicaux et hospitaliers. Cela concerne notamment un millier de lits de réanimation, 550 appareils respiratoires, 100.000 kits de prélèvements, 100.000 kits de tests, scanners… Il s’agira aussi d’acquérir des lots de médicaments, de produits consommables médicaux et de gaz…, en plus du renforcement des moyens du ministère de la Santé quant aux frais des professionnels de la Santé, la désinfection, l’hygiène, le carburant… « Ce qui est certain est que pour combattre sérieusement cette pandémie, il faut d’abord d’énormes moyens de dépistage. Il faut également mettre les moyens pour protéger le personnel existant en lui fournissant des masques, des gants médicaux, des combinaisons de protection ainsi que d’autres fournitures médicales indispensables dans la lutte contre le nouveau coronavirus. Pour le moment, les ressources humaines disponibles ne suffiront pas. Il faut donc mobiliser les médecins du privé, les retraités et les étudiants de médecine. Il faut miser sur la mobilisation de toutes les ressources humaines disponibles », a-t-il expliqué.

Le CVE indique qu’il s’est focalisé, lors de sa réunion qui date du 23 mars, sur un certain nombre de mesures d’accompagnement en faveur du secteur informel, directement impacté par le confinement obligatoire. M. Akesbi note que depuis la réforme de la caisse de compensation, il était question de libéraliser les prix, ce qui signifiait forcément un appauvrissement de toute une couche de la population. Pas seulement les pauvres mais aussi une partie de la classe moyenne. « Les pouvoirs publics ne procèdent pas aux réformes nécessaires en temps opportun. Il est clair que la réforme de la Caisse de compensation allait impacter le pouvoir d’achat des classes pauvres et moyennes. D’où l’idée à l’époque de procéder aux aides directes au profit des populations vulnérables économiquement. Toutefois, le système des aides directes n’a pas été mis en place. Il fallait changer radicalement le système pour passer d’un système d’aide à travers les prix à un système d’aide direct au revenu. Toutes les réformes qui ont réussi dans le monde ont fait cette mutation », a-t-il martelé.

Le gouvernement devait procéder au ciblage des personnes vulnérables afin d’instaurer un système d’aides directes. Concrètement, il fallait identifier la population, la doter d’un montant donné et trouver un moyen de lui faire parvenir de l’argent. En effet, l’instauration du mécanisme des aides directes aurait permis d’aller très vite dans la situation actuelle. De plus, le Registre national de la population devait assurer au profit du Registre social unique (RSU) la fiabilité des données d’identification et les services d’authentification des bénéficiaires des programmes sociaux.

Le gouvernement Othmani I devait travailler sur la création d’un registre social unifié pour encadrer la distribution des aides directes et enclencher la décompensation des matières premières. Ce registre a été inspiré de la plus grande base d’identification biométrique du monde, le programme indien Aadhaar, explique l’économiste. Ce système attribue aux résidents du pays un numéro unique associé à leurs données biométriques : empreintes digitales, photo du visage et scan de l’iris. Une fois ce numéro créé, le bénéficiaire reçoit une carte personnalisée. Ces cartes, qui sont données à toutes les familles qui en font la demande, comprennent des données biométriques -lues à travers les empreintes digitales ou l’iris de l’œil- et contiennent les informations nécessaires pour identifier le degré de pauvreté d’une famille.

Jusqu’à présent, le RSU n’a pas encore vu le jour. Et il est aujourd’hui impossible de demander le confinement des salariés du secteur informel sans assurer à ceux-ci une source de revenus, d’où la relation directe entre la question sociale et la réussite du combat contre le coronavirus, explique M. Akesbi. Il rappelle, dans ce sens, qu’un gérant d’un petit atelier de soudure que les autorités ont fermé, en raison des dernières mesures de précaution prises pour endiguer la pandémie du coronavirus, s’est donné la mort, à El Jadida.

S’agissant des mesures d’accompagnement en faveur du secteur informel, directement impacté par le confinement obligatoire, le CVE n’explique pas les modalités de distribution des aides. On se demande toujours comment les personnes identifiées vont recevoir cet argent. De plus, la distribution des aides financières se fera progressivement à compter du lundi 6 avril. « Pour les personnes en situation précaire, c’est une affaire d’heures et pas une affaire de semaines », regrette M. Akesbi. « J’estime que le CVE n’a pas encore trouvé la bonne formule de distribution, d’où vient ce délai imposé d’une semaine (…) Je trouve que la crise sociale et économique engendrée par la crise sanitaire est un moment révélateur. Elle a mis à nu l’impréparation du gouvernement et le coût exorbitant de la non-réforme », conclut-il.

A noter que l’économie informelle emploie plus de 2,4 millions de personnes et réalise un chiffre d’affaires de plus de 410 MMDH. Sa contribution au PIB est estimée à plus de 11%. Ce secteur souffre aujourd’hui des premières séquelles économiques de la crise engendrée par le coronavirus. La crise actuelle exige des réponses nouvelles et efficaces face à une situation jamais connue auparavant. Aujourd’hui, des millions d’emplois sont en jeu.  L’arrêt de certaines activités, jugées non essentielles, pour contenir la propagation du virus met plusieurs personnes au chômage. Il faut donc penser davantage à des actions prioritaires, urgentes et ciblées.

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