L’article 9 du PLF 2020 passe outre les intérêts des citoyens et contredit les orientations royales

Mohamed Benchaâboun, ministre de l’Economie, des Finances et de la Réforme de l’administration, a fait passer l’article 9 du PLF 2020, dans la chambre basse du Parlement, qui stipule que les biens de l’Etat et des collectivités locales ne peuvent faire objet de saisie. Un article, très controversé, qui prend la défense de l’Etat occultant les intérêts des citoyens.

Au Maroc, le phénomène de la spoliation immobilière prend de l’ampleur. Face à cela, et afin de renforcer la protection des personnes contre ce fléau, une nouvelle loi, la 31-18, a finalement été publiée dans le dernier Bulletin officiel du 26 août 2019. Celle-ci met en place tout un arsenal juridique qui régit certains points du code des obligations et contrats, afin de protéger les propriétaires de biens contre les cas de manipulation et de spoliation. Cette réforme de la loi 31-18 survient suite aux instructions royales du 30 décembre 2016. Elles visent à renforcer la protection des personnes morales contre les spoliations immobilières. Cette loi est renforcée par la mise en place un registre national électronique des procurations, administré par l’Etat. Ce dernier constitue l’un des principaux instruments utilisés pour la spoliation immobilière. Il facilitera la communication sur l’ensemble des procurations relatives aux droits réels et tenus par les secrétaires-greffiers des tribunaux de première instance. Les procurations y sont classées et sécurisées dans le cadre de la loi de protection des données personnelles. Toutefois, la volonté de l’Exécutif de faire passer la loi 9 du PLF 2020 s’oppose à la volonté du Souverain de trouver une « réponse immédiate aux actes liés à la spoliation des biens immobiliers ».

Dans ce même contexte, des dizaines d’avocats et de bâtonniers représentant 17 instances marocaines ont manifesté hier devant le Parlement, exprimant leur rejet de l’article 9 du projet de loi de Finances pour 2020. Les professions judiciaires s’insurgent ainsi contre l’insaisissabilité des biens de l’Etat. Pour les magistrats, cet article constitue une atteinte à leur indépendance ; c’est même un mépris pour les jugements prononcés. L’égalité de tous, notamment les collectivités locales, devant la loi et la justice, principe constitutionnel, est en jeu.

Aujourd’hui, et si cette loi est également votée par la Chambre des conseillers, sans de nouveaux amendements, les biens des particuliers seront à la merci de l’Etat. En effet et à titre d’exemple, si une personne possède un terrain sur un périmètre amené à être exploité par l’Etat pour un projet quelconque, l’Etat est supposé suggérer un arrangement à l’amiable, suite auquel la personne en question bénéficie d’une indemnité. Dans le cas où cette contrepartie ne convient pas à la personne concernée, elle a le droit de saisir la justice. Toutefois, l’article 9 du PLF 2020 conditionne le paiement aux ressources disponibles à cet effet. Ainsi, si l’Etat ne dispose pas du montant nécessaire, pendant l’année du jugement, la personne à qui l’Etat doit de l’argent doit attendre que ces ressources soient disponibles. En réalité, il est plus probable que la personne concernée ne soit jamais indemnisée pour le bien perdu.

Rappelons que le Souverain, lui-même, a prévenu contre toute disposition de nature à priver le citoyen de ses droits, lors de l’ouverture de la première session de la première année législative de la 10ème législature en 2016. « De nombreux citoyens se plaignent des affaires d’expropriation, soit parce que l’Etat ne les a pas indemnisés pour leurs biens, soit parce que l’opération d’indemnisation traîne pendant de longues années au préjudice de leurs intérêts, ou encore parce que le montant de l’indemnisation est en-deçà des prix de vente en vigueur, et bien d’autres raisons encore », a déclaré le Monarque.

Soulignons, en outre, que les dispositions de cet article, très contesté, ont été retirées de l’article 8 du PLF 2015, puis de l’article 8 bis de celui de 2017. Son retour a donc suscité de nombreux débats. Précisons également que les dispositions de l’article 9 du PLF 2020 stipulent que « les biens et les fonds de l’Etat ne peuvent pas faire objet de saisie » et que « les créanciers porteurs de titres ou de jugements exécutoires à l’encontre de l’Etat ne peuvent se pourvoir en paiement que devant les services ordonnateurs de l’administration publique concernée ».

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