La partition n’est ni une bonne solution ni la seule

Hannah Rae Armstrong, «écrivaine et conseillère politique avec plus d’une décennie d’expérience en Afrique du Nord et au Sahel», a posté un message sur sa page dans lequel elle confie qu’«il y a près de 20 ans, j’ai commencé à travailler sur le Maghreb en tant que jeune gauchiste idéaliste. Je n’aurais jamais imaginé prôner un jour la partition. C’est exactement ce que fait mon nouvel article sur le Sahara occidental dans Foreign Affairs».

Cette journaliste américaine explique qu’elle s’est «senti obligé d’écrire cet article après que le briefing de l’Envoyé de l’ONU au Conseil de sécurité de l’ONU en octobre dernier [2024] n’ait reçu pratiquement aucune attention ni aucun soutien».

Cependant, dit-elle, l’exposé de Staffan de Mistura «a réintroduit une politique que j’en étais venue à croire être la meilleure option pour les deux parties ainsi que pour la région au sens large».

Elle souhaite donc «convaincre le Maroc d’accepter la solution la moins mauvaise» et plaide dans ce sens, dans un article qu’elle a précisément intitulé The case for partition in Western Sahara (Plaidoyer pour une partition au Sahara occidental) et qu’elle publie sur le site de Foreign Affairs.

Dans ce plaidoyer, toutefois, plusieurs éléments méritent d’être nuancés ou reconsidérés.

Qualifier la partition comme «la bonne solution – et peut-être la seule» ne repose sur aucun fondement. Une telle affirmation repose sur une prémisse discutable : celle que les deux parties accepteraient plus ou moins de bon gré un tel plan. «La proposition de De Mistura n’a suscité que peu d’attention de la part des parties» croit pouvoir écrire Armstrong. Or, aussi bien le Maroc que le Polisario ont rejeté cette proposition, qui n’en était pas une puisque l’Envoyé personnel n’a fait que remettre à l’ordre du jour une idée ancienne. Pour le Maroc, accepter une partition reviendrait à fouler du pied le principe sacro-saint de l’intégrité territoriale que le royaume défend bec et ongles depuis des décennies. La répartition du territoire avec la Mauritanie, qui avait aussi des prétentions sur la région, ne peut être invoquée comme précédent car il s’agissait d’un accord, entre deux États indépendants et souverains, dicté par des circonstances particulières. La situation a du reste été rétablie quatre ans plus tard, à la faveur d’une maladresse de la diplomatie algérienne.

L’auteur évoque le retour des réfugiés, mais elle n’en précise pas les modalités et les mécanismes. Tout juste mentionne-t-elle le chiffre de 300 000 «réfugiés», sans toutefois indiquer la source de cette évaluation. Sait-elle seulement que la majorité de la population des provinces du sud demeure dans son lieu d’origine, qu’elle est fière de sa marocanité et participe activement à la vie politique, élisant ses représentants dans les conseils locaux et au Parlement ? Sait-elle que la majorité des habitants des camps de Tindouf ne sont pas d’authentiques Marocains sahraouis ?

La journaliste, qui semble aller quelque peu vite en besogne, cherche à intéresser les États-Unis à une résolution rapide qui leur permettrait d’obtenir l’accès aux gisements de minéraux rares du mont sous-marin Tropic, au large de la côte atlantique du Maroc. Elle estime qu’il y a eu un rapprochement de Washington avec Alger au cours des quatre dernières années, qui a renforcé les intérêts géopolitiques et économiques des États-Unis. Elle en veut pour exemple, contre toute vraisemblance, le fait que «l’Algérie [ait] mis fin à sa tentative d’adhésion aux BRICS»!

L’auteur énumère «les avantages significatifs pour les États-Unis de persuader le Maroc de venir à la table des négociations», mais elle feint d’oublier que, côté marocain, la partition est classée au rang des solutions obsolètes.

Le Maroc a des droits légitimes et il ne saurait accepter que, ce qui, pour les Marocains, est une question existentielle, soit considéré comme une simple transaction commerciale. Le sentiment national marocain sur la question du Sahara est profondément enraciné, bien au-delà de tout calcul politique ou économique.

H. R. Armstrong, «gauchiste idéaliste», dissimule à peine ses sympathies pour le Polisario, même si elle s’efforce de s’astreindre à une objectivité toute relative. C’est ainsi qu’elle affirme sans sourciller que le Polisario est reconnu par l’ONU comme le «représentant légitime des habitants de la région». Elle prétend également que le Maroc, au cours des cinq dernières années, a «contourné» l’ONU.

Elle passe sous silence le rôle de l’Algérie et sa responsabilité dans le maintien de ce litige artificiel. Elle agite cependant le risque d’une confrontation régionale, en soulignant que le conflit provoquerait «entre autres problèmes, une nouvelle crise migratoire en Europe», sans trop s’attarder sur le désastre humain et économique bien plus grave que représenterait une guerre pour les deux pays concernés. Elle omet également d’apporter des précisions importantes. La crainte d’une escalade militaire entre les deux pays pourrait se justifier si Alger était une partie directement impliquée, ce que les autorités algériennes réfutent depuis toujours. Bien entendu, au Maroc, ce discours est traité par le mépris, tant l’implication du régime algérien dans le différend régional est patente. D’ailleurs, ce régime ne s’en cache même plus et toutes ses actions le prouvent, même s’il s’en tient officiellement au statut improbable d’«observateur inquiet».

Lorsqu’elle parle d’«occupation», Armstrong jongle avec la réalité. Jamais le Conseil de sécurité n’a qualifié le Maroc de puissance «occupante». La formule a été introduite une seule fois en 1979 dans une résolution de l’Assemblée générale à un moment où le Maroc manquait de soutiens et elle n’a plus jamais été employée. Même affirmation non fondée lorsqu’elle prétend que le Maroc aurait «refusé» d’organiser le référendum, «accepté dans les accords de cessez-le-feu de 1991» selon elle, dans une confusion flagrante entre ces accords et le Plan de règlement de l’ONU de 1988. Cette même ONU qui a fini par conclure à l’inapplicabilité de son Plan de règlement, en raison des divergences sur la définition du corps électoral.

Armstrong exprime-t-elle une conviction personnelle ou sa plaidoirie s’inscrit-elle dans une grille de lecture plus large ? Son argumentaire semble très aligné avec certaines positions que l’on entend ailleurs. L’Algérie, selon la journaliste, «serait en train de faire pression pour un plan de partage». Ce pays devrait maintenant, ajoute-t-elle, «convaincre les dirigeants du Polisario» d’accepter. D’ailleurs, précise-t-elle, «certains dirigeants du Polisario m’ont dit qu’ils pourraient être disposés à s’engager sur une proposition de partage, mais leur président ne les y a pas encore autorisés». Brahim Ghali tiendrait donc tête au régime algérien ! Quant au Maroc, croit savoir l’auteur, il sera difficile de le convaincre, mais «il n’a pas grand-chose à perdre d’une partition» (sic). Les États-Unis et l’Algérie (!) devraient, selon Armstrong, «encourager» les parties à négocier un compromis durable. Voilà l’Algérie érigée en juge et partie par une «spécialiste» de l’Afrique du Nord.

Il ne resterait plus, selon Armstrong, décidément bien inspirée, qu’à soumettre la question du partage à un «referendum dans les camps de réfugiés».

La «bonne solution, la seule», est bien connue : c’est la proposition qui a été présentée par le Maroc et que la journaliste qualifie de «vague ‘plan d’autonomie’ de trois pages». Ce plan, qui constitue la seule proposition formelle sur la table, bénéficie d’un large soutien international, y compris et à commencer par celui des États-Unis. L’appui explicite à la mise en œuvre effective de l’initiative marocaine permettrait de mettre fin au différend et par la même occasion aux souffrances qui sont imposées par le régime algérien aux populations des camps de Tindouf. Alger n’a pas de cartes, après avoir vainement essayé depuis 50 ans, par tous les moyens, d’imposer son hégémonie sur la région.


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