La Ligne de précaution et de liquidité est un « programme d’ajustement qui ne dit pas son nom »

Le Wali de Bank Al-Maghrib (BAM), Abdellatif Jouahri, s’est félicité, mardi à Rabat, de l’adoption par le Fonds monétaire international (FMI) de la dernière Ligne de précaution et de liquidité (LPL) et sur laquelle le Maroc n’a encore effectué aucun tirage.

Abdellatif Jouahri a indiqué lors d’un point de presse qui suit le Conseil trimestriel de Bank Al-Maghrib (BAM) que la dernière Ligne de précaution et de liquidité (LPL) a été approuvée par le Conseil d’administration du Fonds monétaire international (FMI) « sans difficultés » et « à l’unanimité des membres présents ».

« C’est une bonne chose, puisque le Maroc ne tire toujours pas sur cette LPL. Il n’en a pas besoin vu le niveau de ses réserves de change, à moins que des chocs extérieurs ne se produiraient », a-t-il indiqué tout en rappelant que pour l’approbation de cette ligne, quatrième du genre pour le Maroc, les experts du FMI ont dû analyser l’ensemble des équilibres macroéconomiques et les réformes que le Maroc a menées.

Soulignons que le 17 décembre 2018, le Conseil d’administration du FMI a approuvé un accord avec le Maroc au titre de la Ligne de précaution et de liquidité d’un montant de 2,7 milliards de dollars sur 24 mois. Il s’agit du quatrième accord en six ans, le premier en août 2012 de 6,2 milliards de dollars, le deuxième de 5 milliards de dirhams en juillet 2014 et le troisième de 3,5 milliards en juillet 2016.

Il faut savoir que la LPL a été mise en place pour la première fois par le FMI en 2011 afin de répondre de manière plus souple aux besoins de liquidité de pays membres qui affichent des « paramètres fondamentaux sains et un bilan solide » en matière d’exécution de la politique économique, mais qui restent vulnérables à certains égards. Cette ligne constitue donc une réserve de devises qui peut être utilisée seulement au cas d’une dégradation grave de la balance des paiements, comme le précise Najib Akesbi, Économiste et Professeur de l’enseignement supérieur.

« Le FMI propose à un certain nombre de pays, qu’il estime fragiles mais conduisant néanmoins de « bonne politiques », d’anticiper les crises. Avec la LPL, il met à leur disposition des fonds qui ne sont pas immédiatement utilisables. Ce n’est utilisable que dans le cas d’un choc qui crée un problème de balance des paiements ou de réserves des changes et donc de solvabilité. Et lorsque la question de l’utilisation des fonds mis à disposition se pose, cette possibilité d’utilisation des fonds n’est pas automatique puisqu’il faudrait alors engager une seconde négociation portant sur ses conditions, notamment en termes de mesures de politiques publiques à prendre par le pays demandeur. Non seulement il n’y a donc pas de crédit immédiatement disponible, alors que la simple « mise à disposition » n’est pas gratuite, ce qui revient au fond à payer une « marchandise qu’on n’a pas consommée », mais d’un processus assorti de deux « moments » où le FMI est en position de force pour imposer ses conditionnalités », a-t-il expliqué, en ajoutant cependant que cette deuxième étape de négociation n’a pas encore eu lieu pour le Maroc, et pour cause « puisque notre pays n’a jamais utilisé les fonds mis à sa disposition dans le cadre des 4 LPL successives déjà contractées ».

« Certes, les conditions ne sont pas toujours respectées, du moins dans les délais convenus, et pourtant le FMI s’accommode de la situation et renouvelle souvent la LPL. Pour comprendre ce « paradoxe », il faut savoir qu’en dernier lieu, le FMI reste une institution financière qui prospère en prêtant de l’argent. C’est cela sa vraie finalité, et il va le faire d’autant plus qu’il le fait avec un pays qui, vaille que vaille, continue de payer sa dette, rubis sur l’ongle. Le résultat pour le pays est que c’est un tunnel sans fin dont « la facture » ne profite qu’à ses créanciers », a expliqué M. Akesbi.

Au-delà des explications fournies par le FMI qui font l’éloge de la LPL, c’est l’importance du montant payé par le Maroc sans jamais avoir bénéficié de cette ligne de précaution qui suscite l’ire de plusieurs économistes au Maroc. Il faut savoir que la LPL n’est pas de l’argent versé à l’Etat. D’ailleurs, même si le Maroc n’a effectué aucun tirage sur les trois premières LPL, celles-ci ont dû coûter au Trésor la bagatelle de 720 millions de dirhams, sur toute la période de 2012 à 2018.

Pourquoi le Maroc continue-t-il donc de demander l’octroi de la LPL ? « Si pour certains le recours du Maroc à la LPL en 2012 était nécessaire en raison d’une conjoncture économique difficile à l’époque à cause de la baisse des réserves de devises et de l’accentuation du déficit budgétaire, la ré-adoption de cette mesure par la suite n’est plus justifiée, car alors, de deux choses l’une : ou le pays a vraiment besoin de cette « ligne » et alors il devrait l’utiliser, ou il n’en n’a pas vraiment besoin, et dans ce cas on se demande pourquoi il continue à payer pour quelque chose qu’il n’utilise pas ! », se demande M. Akesbi qui fait remarquer que le gouvernement présente la LPL aujourd’hui comme une sorte de « distinction d’excellence », alors que ce « produit financier » du FMI [NDLR : la LPL] n’a trouvé à ce jour que deux pays au niveau international pour en être preneur : le Maroc et la Macédoine. « Pourtant au regard des critères mêmes établis par le FMI, des dizaines de pays devraient être concernés et donc demandeurs… Cette incroyable singularité devrait tout de même nous interpeller ! », s’est-il exclamé.

La LPL est ainsi un programme d’ajustement qui ne dit pas son nom. Ce ne sont que des conditionnalités imposées par le FMI et qui ne sont pas toujours respectées par le Maroc. En effet, il faut accélérer le rythme des réformes libérales afin d’accéder à cette ligne. Toutefois, ces réformes libérales facilitent le transfert de richesse et de capitaux par les grands capitalistes étrangers et locaux aggravant le déficit budgétaire et donc le recours à l’endettement et les coûts élevés qu’il implique. Les couches populaires et les salariés supportent donc le fardeau de son remboursement à travers les politiques d’austérité, de pauvreté, de gel des salaires, de chômage et de marginalisation.

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